Robert S. Boynton – Le temps du reportage

ENTRETIENS

Éditions du sous-sol

En 2005, Robert S. Boynton, directeur du programme de journalisme littéraire à la New York University, interviewait 19 représent.e.s de cette discipline. Le temps du reportage, qui vient de sortir en France aux Éditions du sous-sol (mieux vaut tard que jamais), constitue une mine d’informations sur ce style de journalisme typiquement américain.

Robert S. Boynton - Le temps du reportage - Editions du sous-sol - Chronique essai

Si les origines de la non-fiction littéraire remontent au XIXe siècle avec des auteurs comme Stephen Crane, Robert S. Boynton prend ici comme postulat le « Nouveau Journalisme » théorisé par Tom Wolfe dans les années 70, pour évoquer ce qu’il nomme Nouveau Nouveau Journalisme, « des longs formats de non-fiction fondés sur le reportage et menés comme une narration ». Une non-fiction pouvant revêtir des formes très diverses, empruntant tour à tour à la sociologie, l’anthropologie et autres sciences dites humaines, et se rapprochant souvent du roman comme l’illustre notamment Jonathan Harr (auteur de Préjudice, sur le combat opposant des familles à des industriels pollueurs). « Je ne me considère pas comme un journaliste », confie Harr. « Je me considère comme un écrivain qui a besoin de collecter des informations pour se mettre à écrire ».

De l’importance du point de vue

Pour investiguer le réel, le reportage littéraire traque le détail, et les enquêtes sont la plupart du temps lentes et méticuleuses. Leon Dash peut ainsi passer des mois voire des années à mener des interviews pour un projet d’article ou de livre. L’immersion est une autre pratique commune. Ted Conover s’en est fait une spécialité, vivant comme un hobo dans les trains de marchandises, ou enjambant la frontière américano-mexicaine avec les travailleurs émigrés. Trouver le poste d’observation adéquat avant de commencer l’enquête. « Lorsque je vais quelque part pour couvrir un sujet, j’ai besoin de me poser, d’observer, de réfléchir pendant des mois pour produire quelque chose d’intéressant et de différent », explique William Langewiesche, journaliste et pilote d’avions, pour qui la prise de hauteur (au sens propre comme au figuré) prime dans son métier. Prendre du recul évite toute idéalisation : « projeter au-delà des apparences, […] avoir le courage de regarder la réalité et la laideur ».

Vérité et subjectivité

Politique, religion, question raciale, pornographie ou fast-foods, des étendues sauvages d’Alaska aux ruines du World Trade Center, des ors de Wall Street aux quartiers populaires du Bronx… Si leurs sujets sont extrêmement divers, les écrivains de non-fiction possèdent en dénominateurs communs une conscience sociale forte et la volonté de se confronter au réel, à des vies ordinaires qui méritent cependant que l’on s’intéresse à elles. Lorsque l’on considère ce mélange, parfois troublant, d’objectivité et de subjectivité qui caractérise la non-fiction littéraire, une question vient alors à l’esprit : peut-on considérer cette pratique comme un journalisme au sens traditionnel du terme ? Décomplexés face au roman, c’est d’ailleurs davantage dans la forme de leurs reportages que dans leur langue que les « Nouveaux Nouveaux Journalistes » innovent, même si Jane Kramer avoue se considérer comme une romancière ratée ! Alex Kotlowitz entend pratiquer un journalisme d’empathie, pour placer les lecteurs dans la peau de ses personnages. « Je veux que mes livres ou mes articles aient sur le lecteur le même impact qu’un roman : au cours de l’histoire, il arrive au personnage principal quelque chose qui révèle une vérité émotionnelle », avoue aussi Richard Ben Cramer.

Les journalistes se confient

Nouveau journalisme, essai fictionnel, journalisme d’immersion ou encore littéraire, narratif… la frontière entre ces différentes disciplines est souvent mince (et toujours floue). Retenons cette définition d’Alen Strachtenberg qui déclarait, à propos de Stephen Crane et de sa manière de fouiller le réel, qu’il s’agissait de « convertir des données factuelles en une expérience ». Pour défricher ce large terrain de la non-fiction littéraire, Robert S. Boynton interroge donc dix-neuf plumes d’exception sur leurs méthodes d’investigation et d’écriture, leurs thématiques, le contexte économique et sur ce que représentent pour eux la non-fiction littéraire et la notion de « vérité ». Les interviewés jouent le jeu, et ces entretiens fourmillent de conseils avisés tout autant que d’anecdotes personnelles ou décalées. On appréciera par exemple le franc-parler de Richard Ben Cramer, et son récit de sa rencontre incongrue avec George W Bush. À l’heure où les fakes news et les spécialistes auto-proclamés fleurissent sur les réseaux sociaux, il est bon de se pencher sur ces hommes et ces femmes qui vouent leurs vies à la retranscription du réel de la manière la plus fidèle et objective possible. Opération autrement plus compliquée qu’un tweet de 280 caractères ou qu’un commentaire sur Facebook.

https://newnewjournalism.com/index.htm

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