En mai, Olivia Corsini présentera à l’Espace des Arts la première de sa nouvelle création, une adaptation des nouvelles de Raymond Carver, pour partir à la rencontre de Nancy, Cliff, Sam, Franck et Bill.
C’est dans l’Amérique des années 70 et 80 que la metteuse en scène nous convie, à la rencontre de personnages qui sont à des carrefours de leurs existences. Des personnages dont la boussole est déréglée, souvent seuls et dont les histoires nous sont contées en mode nocturne. Après la Seconde guerre mondiale, le rêve américain a du plomb dans l’aile, et les sirènes du matérialisme commencent à résonner d’une drôle de manière un peu partout aux États-Unis. Débâcle américaine au Vietnam, violence d’un libéralisme débridé au début des années 80… Dans ses nouvelles, Raymond Carver témoigne des laissés pour compte de l’Amérique. Issu d’une famille modeste, l’écrivain connait bien les vies étriquées et les réalités économiques. Ses propres difficultés pour vivre de sa plume le maintiendront proche des plus nécessiteux.
Photo : Christophe Hagneré
Toutes les petites choses qu’il a pu voir, Carver les a condensées dans des portraits concis mais précis d’Américains et d’Américaines, et l’on a souvent comparé son écriture à celle de Tchekhov qui a su chroniquer quant à lui un changement de monde, à la fin du XIXème siècle, annonçant la chute du régime tzariste et l’avènement d’une nouvelle société russe. Olivia Corsini dresse un parallèle entre les personnages de Carver et ceux du tableau de Edward Hopper, Nighthawks, « où des grandes parois de verre laissent deviner la profonde solitude des quatre personnages qui ne se regardent pas ». Chacun dans leurs mondes, « comme des petites poupées restent dans des intérieurs isolés, des refuges éclairés par les lueurs des abat-jours. »
Sous le lit, le parquet laisse la place à une « terre sèche et caillouteuse » comme le dit encore la metteuse en scène. « Je voudrais recréer la sensation de noyade que nous pouvons ressentir quand une fuite d’eau remplit le salon », précise-t-elle, « et que nous nous sentons si dépassé que l’on dirait que l’océan tout entier est rentré pour tout emporter. » Ces moments de solitude n’en sont pas moins « des instants clefs, des moments banals du quotidien où pourtant tout peut se jouer, où tout peut vriller. » L’auteur ne jugeait pas ses personnages. Olivia Corsini ne souhaite pas le faire non plus, mais plutôt porter la lumière sur eux avec empathie, pour paver un « chemin de reconnaissance en l’autre », comme elle le dit encore, avec Carver comme guide. « Beautiful losers », diraient les Américains de leurs compatriotes dont l’existence manque cruellement de clinquant et de réussite.
La pièce va aussi se pencher sur « le silence des personnages, leurs points de suspension, leur difficulté à dire ». Un « monologue intérieur », précise Olivia Corsini, existe pourtant bien. Le format court des nouvelles sera exploité, ces « histoires faites d’instants brefs, c’est-à-dire aussi d’ellipses, de mystères et d’irrésolus. » La création s’inspire des travaux du photographe américain Robert Frank, qui dans la seconde moitié du XXe siècle fera le portrait des hommes et des femmes en Amérique, « une image concrète de la société américaine qu’a connu le nouvelliste et qui l’inspirera pour écrire ses textes ». Quant au photographe Gregory Crewdson, souvent comparé à Edward Hopper, il plongera au contraire ses sujets dans des atmosphères fantastiques, des « moments suspendus [qui] restent un mystère ». Des références iconographiques définissant d’une certaine manière les deux lieux de l’action, d’une part espaces intérieurs domestiques, lieux d’aliénation, d’autre part l’extérieur, une forêt tout à la fois synonyme de danger et de renouveau.
– Dominique Demangeot –
Toutes les petites choses que j’ai pu voir, Chalon-sur-Saône, Espace des Arts, du 13 au 15 mai à 20h
espace-des-arts.com