À l’occasion de leur rentrée 2022, Les 2 Scènes nous invitent à les suivre hors de leurs murs, plusieurs rendez-vous symboliques d’une envie des publics de retrouver le grand air, après deux années compliquées par la crise sanitaire. Diversions s’est entretenu avec Anne Tanguy, directrice de la Scène nationale de Besançon, qui évoque pour nous la reprise des spectacles et les évolutions des habitudes du public.
Quel bilan peux-tu tirer de la saison qui vient de s’écouler et sonnait le retour à un rythme plus normal pour Les 2 Scènes ?
Une saison assez particulière puisqu’on a senti une reprise en septembre, et puis en janvier il y a eu à nouveau une petite crise covid. Là on a senti que ça rechutait. Avec le covid, on a demandé aux gens de rétrécir leurs liens, ça s’est un peu resserré sur les familles, le cercle primaire. Mais le théâtre peut être aussi un endroit d’action qui va regrouper les gens, un remède contre le repli sur soi.
Comment les habitudes des publics ont-elles évolué la saison dernière ?
On avait supprimé les abonnements il y a trois ans, l’année du covid. Avant le théâtre était un lieu réservé aux abonnés, et c’était une manière de rouvrir le théâtre à tout le monde. Cela ne veut pas dire qu’on ne réfléchira pas à quelque chose qui va fidéliser davantage, mais on ne se tournera pas vers un abonnement. Tout le monde peut en tous cas prendre ses places dès le début de saison, par contre on a baissé les prix pour tout le monde en enlevant l’abonnement.
Le point commun des premières dates cet automne est qu’elles vont toutes se jouer en extérieur.
Oui il y a plusieurs années qu’on fait ça. L’idée c’est d’aller vers un public qui ne vient pas forcément chez nous, dans la rue à Planoise, vers le public du Festival de musique, sous chapiteau à la Friche…Comme dans toute relation, c’est faire le premier pas !
Une manière de fidéliser le public est aussi d’inviter certains artistes plusieurs fois dans la saison…
C’est aussi inviter le public à parler de ce qu’il a vu, partager ses émotions autour de lui ! Et c’est important d’affirmer des fidélités, quand le public peut suivre le parcours de certains artistes depuis plusieurs années. Je pense à Ilka Schönbein, Pierre Meunier, La Cordonnerie, au Cirque Trottola qui nous a offert le cadeau de présenter la dernière de Campana.
Ce sera aussi le cas d’Étienne Rochefort, qui proposera Vestige en déambulation dans plusieurs communes du Grand
Besançon à partir du 13 septembre.
Oui on le retrouvera plus tard dans la saison (Bugging les 30 novembre et 1er décembre, NDLR). Quasiment à chaque fois, les spectacles dans les campagnes sont en lien avec une activité dans les théâtres.
Il y aura également plusieurs artistes internationaux.
Oui et cette saison sera aussi complètement paritaire. Il y a des directrices artistiques, pour questionner une vision un peu moins patriarcale du monde, l’égalité des genres. Donc quand on invite Phia Ménard, Ilka Schönbein, Emma Dante, Fanny de Chaillé, Sarah Murcia, Noémi Boutin, Rébecca Chaillon, c’est un très beau programme assez engagé la saison prochaine, un vrai hommage aux femmes. Ce peut être aussi déconstruire certains mythes comme avec Rébecca Chaillon (Plutôt vomir que faillir au CDN Besançon Franche-Comté du 30 novembre au 3 décembre, Carte Noire nommée Désir en février 2023, NDLR).
Le mois d’octobre sera notamment axé sur des créations locales.
Nos lieux sont aussi à l’écoute d’inclusion artistique avec des gens du territoire. Sources c’est un projet avec un chorégraphe africain, Franck Edmond Yao et un projet Interreg avec la Suisse. Radio Jam en décembre, c’est un artiste suisse, Miro Caltagirone, et Napoleon Maddox qui habite Besançon. Il y a Kâma, ou comment faire émerger des danseurs amateurs, comment les aider pour qu’ils fassent émerger la danse de leur histoire (45 heures d’ateliers seront données dans ce cadre, NDLR).
Un temps fort de ce début d’année sera Terces, de Johann Le Guillerm à la Friche Artistique.
Johann n’est jamais venu à Besançon. C’est un artiste très singulier. Cela fait vingt ans qu’il a débuté le spectacle Secret. Terces c’est l’inverse de « Secret », qui signifie donc « labourer une troisième fois ». C’est son troisième spectacle en vingt ans… Johann travaille à la fois des constructions, des objets sur la piste, une présence… Exprimer le temps qui passe… C’est un des premiers qui s’est affranchi de la performance circassienne, pour être dans la matière, dans le mouvement.
Il y a aussi, comme tu le dis, cette « question du monde en bascule », avec notamment le festival Sur Terre.
On invite plusieurs spectacles et artistes qui sont les témoins d’un monde en train de bouger, soit pour des raisons sociales, sociétales, comme avec Carte Blanche nommée Désir, ou encore pour des raisons écologiques, environnementales et là le festival Sur terre en est un bel exemple.
De plus en plus d’artistes croisent également les disciplines.
Ce qui nous tient aussi à cœur, c’est le carrefour des langages artistiques. Je pense au Bachelard Quartet avec musique piano violoncelle, théâtre, mais aussi la poésie de Bachelard (12 et 13 novembre à l’Espace), ou encore avec le GdRA qui mélange anthropologie, cirque et danse (Siffleurs de danse du 25 au 27 janvier 2023).
Citons enfin un autre temps fort autour de Philip Glass.
C’est un gros focus avec la recréation de l’opéra Les Enfants terribles par Phia Ménard (10 et 11 janvier). C’est aussi la dernière composition de Philip Glass pour un quatuor, King Lear (le 8 décembre). Il a écrit ce quatuor pour eux et on termine autour de ces deux rendez-vous musicaux. On démarrera par une conférence avec Sylvain Fanet le 5 décembre. Sylvain a écrit le premier livre en français sur lui, Accords et désaccords. Ce sera au CRR, et en janvier on terminera par une nuit cinéma car Philip Glass écrit beaucoup pour le cinéma. On présentera en une seule nuit la trilogie Qatsi, où Philip Glass a écrit la musique. Il n’y a pas de dialogues, ce ne sont que de la musique et des images. Des expériences artistiques qui laissent des traces pour le public ! L’idée est de proposer une programmation partageable par tous, des expériences sensibles, esthétiques, fortes aussi, des expériences collectives et personnelles. Une programmation de chair et d’esprit.
– Propos recueillis par Dominique Demangeot –
Les 2 Scènes, Saison 2022-2023, Besançon – les2scenes.fr