ROMAN
Le Tripode
Parution le 26 août 2021
Adrien est un journaliste spécialisé dans le numérique, mais il a un léger problème: il méprise les nouvelles technologies, GAFAM et autres dispositifs modernes… Son métier de pigiste et la « pensée encadrée » qui va avec l’irritent tout autant. Il préfère se souvenir de son grand-père, disparu à l’âge vénérable de cent un ans, Gabriel né en 1908 dans ce qui ne s’appelait pas encore les Yvelines, et qui fournit à son petit-fils la matière d’un roman, seule aventure d’écriture valable selon Adrien.
Il y aura donc vingt-quatre chapitres, comme un miroir des vingt-quatre images par seconde du cinéma. Fenêtres à travers lesquelles visionner la vie trépidante d’un homme pourtant très tranquille, Gabriel P., opérateur de cinéma, une vie bien remplie et un drame : la mort de sa grande sœur à l’âge de onze ans. On suit Gabriel pris dans le tourbillon du siècle, immortalisant quelques événements clés de l’histoire, nous donnant des nouvelles du front au sein des Forces françaises libres durant la Seconde guerre mondiale, cadrant plus tard pour Godard en pleine nouvelle vague… Raphaël Meltz interroge le progrès, que 24 fois la vérité nous présente comme une notion très relative, corollaire du « néant consumériste » de notre époque, un monde virtuel sans substance qu’il contemple lors de ses reportages à Las Vegas ou ailleurs (d’ailleurs ne cherchez pas Raphaël Meltz sur les réseaux sociaux, vous allez chercher longtemps !). Son personnage Adrien préfère rester loin du bruit moderne, bien tranquille dans la maison familiale, celle de son grand-père, loin de ce flux numérique qui crée constamment le(s) besoin(s).
« […] tout est flux, tout n’est que flux, et il faut les nourrir tu comprends Antonio, il faut nourrir en permanence ces tuyaux, il faut spéculer pour maintenir le système en place, il faut des likes de pouces bleus, il faut cliquer il faut regarder il faut filmer, il faut créer »
24 fois la vérité évoque pêle-mêle – dans un tourbillon savamment orchestré – la place de l’image dans nos vies, le cinéma d’hier (est-il mort aujourd’hui ?), la filiation et l’héritage familial, sans oublier l’écriture au sens large, qu’elle soit cinématographique, journalistique ou romanesque… 24 fois la vérité est un grand roman où se croisent et se frôlent, dans une grande fuite en avant, la vie et la mort, et parfois des renaissances, comme quand, après avoir filmé l’enfer de Dachau, le grand-père Gabriel immortalisait à Mexico derrière l’objectif de sa caméra « La Vie. Rien que la vie ». Déjà pas si mal.
Dominique Demangeot