La nouvelle création de Julia Vidit porte sur une pièce peu connue de Pirandello, À Chacun sa vérité écrite en 1917. Le quotidien rangé d’une petite préfecture est bousculé lorsqu’arrive un nouveau fonctionnaire. M. Ponza, sa belle-mère et son épouse suscitent rapidement la curiosité, d’autant que beau-fils et belle-mère s’accusent mutuellement de folie…
Avec l’auteur et dramaturge Guillaume Cayet, la directrice du Théâtre de la Manufacture à Nancy interroge la place du texte théâtral face à l’histoire, adaptant le texte de Pirandello à notre époque. Dans la pièce, un groupe de notables vêtus de mornes teintes beiges s’acharnent sur Ponza et Frola qui ont échappé à un tremblement de terre. Pirandello s’inspirait ici du 13 janvier 1915, jour d’un terrible tremblement de terre dans les Abruzzes qui avait fait 30.000 morts et exilé de nombreuses personnes. Cette thématique n’est pas sans rappeler la question migratoire qui enflamme en ce moment le débat politique. La pièce, au rythme vif et aux répliques brèves, comporte cependant de longues tirades de la part des intrus, « qui figent l’espace – temps pour faire relativiser les faits et faire vaciller, chaque fois, la fiction », dit encore Julia Vidit. « C’est un exercice de vérité plaisant, c’est un jeu vertigineux. »
Avec le scénographe Thibaut Fack, une recherche autour d’un « escalier infini » a été menée, décor donnant l’illusion d’un escalier sans fin, remplaçant le salon bourgeois d’origine, comme une métaphore d’une vérité illusoire à laquelle les personnages ne peuvent accéder. Ce thème résonne particulièrement à notre époque où chacun tente, à travers les réseaux sociaux notamment, d’avancer « sa » vérité… pas toujours vraie. Dans le même ordre d’idées, une verrière centrale apporte un puits de jour symbolisant cette vérité inatteignable, d’autant que l’épouse de Ponza ne dévoile jamais sa version des faits… « Pour réussir à donner l’illusion d’une quête sans fin, nous inventons avec les acteurs une convention des déplacements dans l’espace », explique Julie Vidit. La pièce n’est pas sans lien également avec l’histoire italienne et européenne, évoquant la montée du fascisme (Pirandello considérera un temps adhérer au parti fasciste italien). Pour découvrir les secrets des nouveaux arrivants, les habitants de l’immeuble sont prêts à tout, voire à tuer ! C’est la raison pour laquelle la cage d’escalier est décorée en marbre, matériau funéraire.
Guillaume Cayet prolonge la pièce en écrivant un quatrième acte qui ouvre l’action sur le reste du XXe siècle. « Et si on descendait à la cave ? » propose ce dernier. Face à la peur de l’autre, piégés dans un repli communautaire, les habitants de l’immeuble finissent par sombrer, à tomber dans cette cave que Julia Vidit compare aux « tréfonds de l’âme où se trouvent Eros et Thanatos. » La metteuse en scène les associe également à des insectes dans une cage, même si dans ce tréfonds, la veine comique de la pièce ne s’est pas tarie.
– Dominique Demangeot –
C’est comme ça (si vous voulez), Mâcon, Théâtre, Scène nationale, 15 mars à 20h30 – http://theatre-macon.com
Le Creusot, L’Arc, Scène nationale, 25 mars à 14h30 et 20h
http://larcscenenationale.fr