Jil Caplan – Le Feu aux joues

RÉCIT

Robert Laffont

Appelez-la Valentine ! Mais vous la connaissez mieux sous le pseudonyme de Jil Caplan, chanteuse sous les feux médiatiques au début des années 90, notamment avec l’incontournable Tout c’qui nous sépare. Même si l’artiste a poursuivi sa carrière musicale, écrit de la poésie et fait du théâtre, cette collection de récits se focalise sur quelques moments forts, de l’enfance à la trentaine, le temps des premières fois et du feu aux joues.

Jil Caplan - Le Feu aux joues - Chronique dans le magazine DiversionsLa chanson de Jil Caplan comparait joliment le passé à « des particules qui dansent dans le soleil et disparaissent toutes seules. » L’artiste n’a pourtant rien oublié et ses souvenirs, elle les range dans cet ouvrage tissé de courts récits, ouvrant le bal dans un quartier populaire du XXe arrondissement. Jil s’appelle encore Valentine et se débat avec une santé récalcitrante dans sa petite chambre. Elle rêve en Technicolor, contemple le visage de Debbie Harry sur une pochette de disque. Elle adule Bowie et d’autres groupes qui agrandissent son champ de vision. « Avec eux, la vie s’élargit, elle pousse les murs », comme elle l’écrit à propos des Beach Boys. Les disques jalonnent d’ailleurs ce récit initiatique, bande son qui sautille de la musique classique au rock, et que l’on peut retrouver sur Spotify comme il est de coutume aujourd’hui.

Mais les mots de Valentine se suffisent amplement à eux-mêmes. Ils nous replongent dans les folles années 80 et le début des années 90. En 23 épisodes, pas toujours chronologiques, ils évoquent le temps du Cours Florent, et des petits boulots tellement pourris que travailler au BHV s’apparenterait presque à un poste de ministre. L’histoire intime de Valentine se confond avec le portrait d’une époque, des années charnières où Paris (tout comme l’industrie musicale) entament leur mue. S’ensuivent les premiers pas dans la musique, un peu par hasard dans l’entourage des Innocents, puis le succès des deux albums À peine 21 et surtout La charmeuse de serpents, conçus en compagnie du ténébreux Jay Alanski.

Le style est aiguisé, court à l’essentiel pour décrire ces trois premières décennies, tourbillon artistique et personnel. Quelques hauts (une Victoire de la musique, un enfant et un road trip ricain), quelques bas, forcément, tournées foireuses, ruptures et « le sourire qui traine par terre. » On repart avec quelques descriptions marquantes du pavé parisien, une apparition belle et furtive de Daniel Darc dans un square. Joli hommage. On est pris par la frénésie du petit monde de la pop française à la fin des années 80, quand on pouvait encore compter les chaînes de télé sur les doigts d’une main (ou presque). Les Inrock(uptible)s ne pratiquaient pas encore l’écriture inclusive (les hommages à ses mère, tante et grand-mère disent davantage qu’un long discours féministe). Le Virgin Megastore était la Mecque. Le Feu aux joues saisit brillamment cette époque déjà enfuie. « Alors on fonce, on continue, pas le temps de réfléchir. On comprendra plus tard. » On a compris.

Dominique Demangeot

 

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