ROMAN
Pauvert
Paru le 12 octobre 2022
1986-1996. Folle décennie pour New York, à l’époque l’une des villes les plus dangereuses au monde, mais également the place to be pour celles et ceux qui souhaitaient faire la fête et accessoirement bâtir une carrière à l’instar de Baby, jeune homme débarqué de son Wisconsin natal. Sa rencontre avec Adeline, étudiante en art, va le libérer du squat où il avait atterri, et lui faire découvrir le monde de la nuit au milieu du « fatras » des années 90.
Jarett Kobek ressuscite un New York bouillonnant, Babylone abreuvée au cocktail amphétamines/coke/héroïne. La ville qui ne dort jamais portait bien son nom lors de cette décennie qui a vu le double avènement du capitalisme sauvage et du SIDA. Les quartiers de l’East Village et Union Square frémissent sous la plume de l’auteur américain, et si Strand Square est « désormais aussi propret qu’une garderie », il fut au milieu des années 80 le repère des drogués et autres marginaux. Mais le roman dépeint aussi un vent de liberté illustré notamment par l’essor des ballrooms et l’exubérance des drag-queens, ces « freaks » que l’Amérique WASP bien pensante au mieux ne veut pas voir ou tente, au pire, de réduire au silence.
Jarett Kobek explore les sombres instincts d’un pays où même les serial killers peuvent devenir des stars, l’auteur s’inspirant de faits réels à l’image du roi de la nuit, le fondateur des Club Kids Michael Allig qui finira sa carrière dans les colonnes des faits divers. Adeline, jeune héritière bien née, aspire pourtant à des idéaux punk, avec son petit ami anarchiste. Baby a lui aussi des envies d’émancipation, vivre librement sa sexualité et devenir romancier. Reste à savoir si le futur (qui ne tardera plus, nous dit-on) leur apportera satisfaction dans un pays qui « est la plus grande des arnaques, la plus perverse ». D’autant plus qu’au milieu des années 90 pointent les nouvelles technologies, dont Jarett Kobek nous entretient dans un autre roman où l’on retrouve le personnage d’Adeline (Je hais internet, Pauvert, 2019). Même l’escapade de Baby et Adeline sur la Côte Ouest (San Francisco, Pasadena et son « petit paradis de bourgeoisie ») ne semblent pas les satisfaire. Reste cette décennie au cours de laquelle Big Apple débute sa mue, quelque part entre le premier attentat du World Trade Center et « le dernier été frais dont je me souviens », explique Baby, une folle plongée dans « le stupre si typique des fins de siècle ».
Dominique Demangeot