Orchestre Victor Hugo et Sandrine Piau – Sortie du disque Clair-obscur

CLASSIQUE

Alpha Classics

Sortie le 12 mars 2021

L’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté poursuit ses collaborations avec les grandes voix françaises. Après Isabelle Druet, puis Karine Deshayes, excursions discographiques récompensées toutes deux à de nombreuses reprises, le chef Jean-François Verdier conviait l’an dernier la soprane Sandrine Piau à venir immortaliser sur disque quelques belles pièces de Berg, Strauss et Zemlinsky, qui ont allumé les ultimes feux du romantisme à la fin du XIXe siècle.

En mars 2020, juste avant le premier confinement, c’est à l’auditorium du Conservatoire de Grand Besançon Métropole, que Diversions rencontrait Jean-François et Sandrine, pour évoquer cette période charnière où les derniers romantiques allaient laisser la place à d’autres musiques.

Jean-François Verdier

Voilà un moment Jean-François, que tu souhaitais inviter Sandrine Piau à venir chanter dans la région avec l’orchestre !
Sandrine est très occupée, elle fait une carrière mondiale ! Effectivement c’était une grande envie pour moi de lui proposer des choses. On a déjà enregistré ensemble, et moi à ce moment-là je jouais de la clarinette. Cela fait déjà quinze ans et j’avais envie de lui proposer quelque chose qu’elle n’avait pas forcément la possibilité de faire par ailleurs, de changer un peu de répertoire.

Jean-François Verdier – Photo : Diversions

Ce disque à paraître, c’est aussi l’occasion pour Sandrine Piau d’immortaliser pour la première fois sur disque des musiques de Berg et Strauss.
Oui, notamment avec les quatre lieder de Strauss que Sandrine pour l’instant n’avait pas encore chantés. C’est une des œuvres les plus connues, les plus belles, les plus romantiques, une des dernières que Strauss a écrites. Tout le monde a forcément une version de référence de ces lieder. Tous les grands chanteurs et les grands orchestres ont fait une version un peu différente. C’est une musique compliquée a priori, parce que Berg, Zemlinsky et Strauss, on peut se dire que ce sont des musiques un peu conceptuelles, tellement raffinées qu’elles peuvent passer pour être intellectuelles, et ce n’est pas du tout le cas. Ce sont des musiques capiteuses qui vous prennent dans une espèce de sensualité, qui vous emportent complètement de la manière la plus belle. Pour moi c’est le sommet du romantisme et à ce moment-là, c’est presque le dernier romantisme. La musique suit la marche du monde, en général on dit que les artistes sentent les choses ou les montrent un petit peu à l’avance..

Lorsque Berg compose ses premiers lieders, c’est encore un jeune musicien.
Il est jeune, mais lui aussi il est déjà dans un vieux monde. Strauss, Berg et Zemlinsky sont Viennois. Ils ont été dans cette ville incroyable au même moment, c’est-à-dire à la toute fin du XIXe siècle et au début du XXe. Vienne était un peu la ville qui symbolisait l’ancien monde, qui doit être abandonné pour laisser la place aux nouveaux avec tout ce qu’on connait d’extraordinairement terrible, puisque c’est aussi là que l’ascension d’Hitler a été actée. C’est donc la ville où il y avait en même temps les plus grands artistes, des villes artistiques, très humaines et des villes qui sont devenues symboliques d’autres choses terribles après.

Berg, après ces lieder, va sous l’influence de Schönberg, délaisser la musique classique pour l’atonalisme, le dodécaphonisme.
Berg a participé à une révolution de la musique à ce moment-là, en voulant casser les codes, mais des trois, il est celui qui a le plus gardé
d’admiration pour la chose lyrique, le romantique et l’humain. Il n’avait pas envie de casser complètement ce qui existait mais de transformer, enrichir au maximum la musique qu’il avait entendue quand il était jeune. Dans ces lieder, on sent la marque d’un grand génie dès le départ. À partir de ce moment-là, autant pour le monde autour que pour eux, il y a eu une fracture qui a fait que les compositeurs plus tard, quand ils auraient à nouveau la possibilité d’écrire, de montrer leurs pièces, partiraient sur des bases assez différentes, justement la description d’un monde qui avait été cassé, douloureux, plus axé sur tout ce qui était machine, plus axé sur tout ce qui est rythme, énergie, pulsation…

Sandrine Piau

Jeudi soir au Théâtre Ledoux de Besançon (saison des 2 Scènes, NDLR), vous vous produisiez sur scène aux côtés de l’orchestre. Cette fois c’est une expérience bien différente, avec cet enregistrement à paraître prochainement…
Le disque c’est autre chose. Le concert, il y a une énergie immédiate, on va vers un public, c’est même physique, on sent qu’il faut vraiment faire un chemin vers lui. Le disque c’est plus mystérieux, comme une photo qui peut être travaillée. En configuration de studio, on peut chercher des couleurs qui sont aussi infiniment petites, qu’on ne pourrait pas forcément assumer en concert. On peut faire un travail par rapport au son, à ce que le micro va nous offrir, surtout Laure Cazenave qui nous a fait un son par rapport à cette salle. Ce que j’ai entendu en cabine va me donner des pistes de travail pour l’articulation, pour les nuances.

Vous connaissiez déjà Jean-François, pour avoir travaillé avec lui par le passé, mais comment s’est passée la rencontre avec l’orchestre ?
Il est vrai que les limites de ces nuances infimes, c’est qu’on a des cors, des trompettes, des embouchures exigeantes. On ne peut pas non plus leur demander n’importe quoi et je dois dire qu’ils sont extraordinaires ! Moi qui chante face à l’orchestre pour cet enregistrement, je vois cet engagement et cet enthousiasme de chaque instant, et je dois dire que je suis très impressionnée, parce que c’est un programme qui est lourd pour tout le monde. Il est d’autant plus lourd qu’on essaie de le faire avec légèreté, et ça c’est vraiment à mon avis une des choses dont je suis très heureuse sur ces sessions de travail et d’enregistrement !

Sandrine Piau - Orchestre Victor Hugo - Album Clair-obscur chez Alpha Classics

Un enregistrement, c’est une aventure collective !
On sent l’envie commune d’aller dans une direction, parce que j’ai une voix assez légère pour ce type de répertoire. J’avais chanté notamment les Sieben frühe Lieder de Berg en effectif plus réduit dans une version cordes en Allemagne, et une autre également en Allemagne dans une version avec instruments à vent, harpe, harmonium, mais c’était aussi une version musique de chambre. Là on a choisi de s’offrir le plaisir du grand orchestre. Ils ont aussi à charge de m’offrir un son dans lequel je peux me lover, parce que je ne suis pas une voix capiteuse et il faut trouver la façon de faire ça ensemble.

Étiez-vous familière des compositeurs qui figureront sur ce disque ?
Tout ceux que j’enregistre ici, je les ai chantés souvent. Ce qui est très nouveau pour moi, ce sont les quatre derniers lieder de Strauss mais de toute façon au disque tout est nouveau pour moi ! Je n’ai jamais enregistré aucune de ces pièces. Celles de Berg m’accompagnent depuis des années. Je les aime profondément.

Quel est le thème choisi ici ?
C’est un peu le clair-obscur, le passage du jour à la nuit. C’est cette heure entre chien et loup, cet entre-deux qui m’intéresse. Ces derniers lieder de Strauss parlent de la lumière beaucoup, des saisons et de la mort. Il y a tout un cycle qui se termine. Les Sieben frühe Lieder, qui sont les sept premiers de Berg, représentent une écriture qu’il va abandonner pour un autre monde. Je trouvais ça très beau d’avoir le commencement et la fin de quelque chose. Berg est à l’orée d’un nouveau langage et Strauss est dans l’absolue fin d’un immense romantisme. Il va passer à des choses beaucoup plus modernes pour revenir ensuite à quelque chose de néoclassique. Les pièces de Zemlinsky sont également encore très romantiques. Les Sieben frühe Lieder parlent au début des nuages qui vont se déchirer, de la lumière qui va arriver, et juste avant avec Zemlinsky on a cet univers de la nuit, la Lorelei qui tue les gens (nymphe de la mythologie germanique, NDLR), qu’elle peut ensorceler. Toutes ces époques, ces thématiques qui s’entrecroisent, ces effets de lumière, c’est un peu l’idée ! Cela nous offre un panel de couleurs extraordinaires.

En parlant de romantisme, vous jouez églement de la harpe !
Oui moi qui suis une ancienne harpiste, j’avoue que j’avais très envie d’entendre cet instrument entre autres, tout cet univers luxuriant de cette époque post-romantique, le début de l’école viennoise. C’est un très vieux rêve, je suis vraiment très heureuse qu’Alpha ait pu m’offrir la possibilité de le faire, et je suis doublement heureuse de travailler avec Jean-François Verdier qui me choie, me suit, me porte au sens noble du terme dans des tempi, des nuances que je peux faire.

Propos recueillis par Dominique Demangeot

www.ovhfc.com

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