ROMAN
Albin Michel
Parution le 26 février 2025
Antoine Roquenaud a coupé les ponts. Avec sa famille, ses amis, son boulot. L’ancien journaliste/ex-taulard regrette, à 47 ans, sa carrière d’auteur raté, alors forcément son orgueil en prend un coup. Une rencontre inattendue va lui permettre de rectifier le tir, le sortir de la rue pour rentrer dans la maison et dans la peau d’un écrivain à qui tout réussit.
De Marc Haubergier, on ne connait que la voix, qui résonne une fois par an à France Inter à l’occasion de la sortie de son nouveau roman. Un succès qui ne s’est pas démenti depuis bientôt deux décennies. Pour Antoine, qui ressemble beaucoup physiquement à Haubergier, ce sera la richesse assurée s’il accepte d’aller vivre quelques années sur une île bretonne, auprès de l’épouse de l’écrivain, Claire. Cette dernière a perdu la vue (et un peu l’esprit aussi) après la noyade de leur fils. Plaçant ouvertement ce nouveau roman, premier tome d’une série sur les sept péchés capitaux, sous le patronage de Daphné du Maurier, maîtresse ès lettres gothiques (dont Le bouc émissaire était déjà une histoire de sosies), NéO, alias Nicolas d’Estienne d’Orves, ménage pour ce premier volet un diabolique jeu de miroirs, « lecture à double fond » comme dans les romans d’Haubergier.
Antoine/Marc s’exile là où finit la terre, mais l’ancien château breton où il va vivre constitue peut-être aussi, pour lui, l’opportunité d’une renaissance, quitte à risquer de s’oublier lui-même. Dans cette histoire de faux-semblants, NéO s’amuse à brouiller les pistes, et le cycle autour des péchés mortels qu’il inaugure ici nous ramène au temps des feuilletonnistes du XIXe siècle, entre disparitions mystérieuses, île étrange semblant habitée par des fantômes et névroses ambiantes. Le tout fait de ce thriller psychologique, où Nicolas d’Estienne d’Orves déplume son écriture mais pas son style, un indispensable page turner, comme disent les éditeurs, fournisseurs talentueux de « story-telling », comme semble le penser Antoine. En nous entraînant sur les chemins tortueux de l’identité (l’impérieuse nécessité, parfois, de réécrire sa vie), NéO questionne finalement les liens étroits entre nos existences et la fiction. Même si l’écrivain-démiurge n’est pas toujours celui que l’on croit.
Paul Sobrin