ROMAN
Albin Michel
Parution le 4 janvier 2024
Loula a quitté sa « ville-mer » pour venir vivre dans la brûlante Marrakech au quartier des Palmiers. Nous sommes dans les années 90. Mickael Jackson est le roi de la pop et le Maroc s’est ouvert à un tourisme débridé pour le pire et le meilleur. C’est là-bas que débute vraiment l’adolescence de Loula, et qu’elle va faire des rencontres déterminantes pour la suite de sa vie.
Leïla Bahsaïn a choisi de donner ici la parole à une jeune adolescente de la classe moyenne qui prend très tôt conscience des différences sociales, se trouvant elle-même à mi-chemin entre les missionnaires tout en haut de la pyramide, et « les Indigents ». Elle découvre peu à peu les rapports de domination qui régissent le monde, entre nations, genres et classes sociales (où « chacun reste à sa place »). Équation implacable. Loula adopte une position d’observatrice (ça tombe bien, elle ambitionne de devenir écrivaine) et c’est en particulier à travers le judas de sa porte d’appartement qu’elle va découvrir une facette peu reluisante du monde des adultes. Souvent, de jeunes garçons montent chez Monsieur Jacques, un Français qui habite son immeuble. Lui fait partie des dominants, des privilégiés. Il le sait, use et abuse de ce statut.
Si elle croise quelques ogres, cela n’empêche pas Loula de rêver en pensant à Michael Jackson (Monsieur Jackson lui, n’a jamais su vraiment comment grandir, victime de la violence du père). Elle va s’ouvrir au monde grâce aux livres, accomplit également son éducation sentimentale au fil des rencontres comme n’importe quelle jeune fille de son âge. Son regard sait aussi reconnaître la beauté de ce monde, à l’image d’une Grand Place cosmopolite qu’elle fréquente avec ses amis, « monde sans nationalités sans tabous sans qu’en-dira-t-on ». Un lieu bruissant de vie qui contraste avec le monde de ceux qui n’ont jamais la parole. « Pour arriver, tout doit naître en mots. Tu dois donc révéler ce qui est arrivé. » Car Loula comprend très vite que le silence peut être meurtrier, lorsque des crimes sont dissimulés, parfois même tolérés par la société… d’où son aspiration profonde à prendre un jour la plume, révolte par les mots pour témoigner et dépeindre en particulier l’adolescence, cet âge des sentiments contradictoires, « passerelle précaire qui nous conduit de l’enfance vers l’âge adulte », comme le fait Leïla Bahsaïn aujourd’hui.
Dominique Demangeot