Clémentine Beauvais – Décomposée

POÉSIE

L’Iconoclaste/L’Iconopop

S’appuyant sur le poème Une charogne, Clémentine Beauvais prend le relais de Charles Baudelaire et invente une vie à une inconnue retrouvée morte au bord d’un sentier. Comme avec Songe à la douceur, histoire d’amour qui s’inspirait de l’Eugène Onéguine de Pouchkine, Décomposée adopte une structure en vers libres pour évoquer la défunte et enquêter sur les circonstances de sa mort.

Clémentine Beauvais - Décomposée - L'Iconopop - Chronique livre

Par la magie de la littérature, l’inconnue n’est donc plus uniquement cette « charogne infâme » qu’évoque Charles Baudelaire au début du célèbre poème. Tel Lazare, elle renaît sous la plume de Clémentine Beauvais qui lui offre une existence ainsi qu’un prénom. Avec une concision que seule permet la poésie, l’autrice nous raconte l’enfance de Grâce dans la montagne, puis nous la suivons jusqu’au moment de sa mort (et même après). Avec Décomposée, Clémentine Beauvais retourne le poème baudelairien dans tous les sens. On en retrouve des pieds et des vers, éparpillés « façon puzzle » comme dirait l’autre, se mêlant aux mots de l’autrice, pour former au final un ensemble cohérent.

« Écoute ma musique, tandis que je me décompose. »

Décomposée évoque par ailleurs très finement la condition des femmes au XIXe siècle, celles qui « rencontrent » des consoles, et que Grâce recoud. Celles qui ne peuvent faire autrement que de subir des grossesses, et que Grâce aide aussi, faiseuse d’anges. Le terme « sœur », particulièrement d’actualité aujourd’hui, revient d’ailleurs souvent dans le texte, comme un appel à la solidarité féminine, d’autant qu’un troisième personnage vient rejoindre le poète et la morte. « Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme », écrit Baudelaire. Ainsi commence Une charogne. Cette âme, cet amour, Clémentine Beauvais imagine qu’il s’agit de Jeanne Duval, la « Venus noire » du poète. Là encore Clémentine opère une habile recomposition littéraire de l’amante de Baudelaire, lorsqu’elle fait par exemple référence à ses « îles paresseuses », vers issus de Parfum exotique, que le poète dédia à son aimée, évoquant ici des fragrances autrement plus séduisantes que les chairs décomposées de la morte. Le spleen baudelairien, l’univers gothique du poète ressurgit, et Décomposée dépeint également ce lien étroit entre vie et mort, mêlées inextricablement comme lorsque Grâce se remémore son amant :

« j’embrasse l’herbe de la même manière,
les arbres pareil, les animaux pareil,
je leur donne leurs étreintes
exactes
que je t’ai données…
des baisers identiques à ceux que je te confiais… »


Tels les mouches, lombrics et autres cloportes transformant la charogne, lent processus participant du cycle naturel, les vers de Clémentine Beauvais morcellent, assimilent et digèrent La charogne de Baudelaire pour donner vie à un nouveau texte. Bel exemple de décomposition (et recomposition) littéraire, d’autant que la jeune femme semble toujours autant s’amuser avec le placement des mots sur la page. Dans les livres comme dans la nature, rien ne se perd, tout se transforme.

Dominique Demangeot

Chez L’Iconopop, retrouvez également Maison Tanière de Pauline Delbaroy-Allard : lire la chronique

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