Aurélien Bellanger – Téléréalité

ROMAN

Gallimard

Sortie le 4 mars 2021

Sébastien Bitereau a deux passions : la comptabilité dont il a fait son métier, et la télévision. Téléréalité dépeint son irrémédiable ascension, depuis son Sud natal jusqu’aux plus hautes sphères du PAF. Sébastien va patiemment construire son empire jusqu’à l’accomplissement final, l’évolution télévisuelle ultime : « Inventer des stars dont le métier serait d’être anonyme ». Une plongée captivante dans la religion cathodique.

Aurélien Bellanger - Téléréalité - Gallimard - Chronique roman

Sébastien sera pour sa part un homme de l’ombre, un « producteur invisible », self made man qui n’est pas sans rappeler le Pascal Ertanger de La Théorie de l’information, premier roman d’Aurélien Bellanger paru en 2012, où l’on découvrait le double littéraire de Xavier Niel, pionnier du net en France avec la création de Free en 1999. Si l’auteur confesse d’emblée que le héros de Téléréalité est un personnage inventé de toutes pièces, le roman s’inspire là encore de faits très réels, et si quelques noms ont été changés, on retrouve de nombreuses stars de la télévision, de Michel Drucker à Cyril Hanouna. Certains personnages seront d’ailleurs assez reconnaissables comme Anne-Sophie de la Motte-Crassville (future papesse de la télé-réalité), ou encore l’ami de Sébastien, Philippe, rappelant étrangement un « dandy punk » qui a su parler de culture sur un ton décomplexé (trouverez-vous sa véritable identité ?), comparant Loft Story aux Mythologies de Barthes, et Loana à la Vénus de Botticelli. En quelque sorte la fusion hautement improbable de Télé 7 Jours et Télérama (pour ne pas faire de jaloux, Sébastien rachètera les deux).

Dans Téléréalité aussi, Aurélien Bellanger fait se côtoyer bling-bling télévisuel et littérature, Thierry Ardisson et Guy Debord, et se penche sur ce phénomène de société qu’est la télévision en inventant le parcours de Sébastien, « consommant du flux, avalant des images jusque tard dans la nuit ». Un jour, ce dernier passe enfin de l’autre côté de l’écran, devenant assistant de l’animateur de La roue de la Fortune. Débute alors une assimilation patiente des ficelles du métier. Aurélien Bellanger nous invite dans les coulisses de la télévision, démontant aussi les ressorts économiques du show business, ainsi que ses enjeux politiques. Nous sommes dans les années 90, et la télévision est entrain de devenir une véritable industrie. Si Téléréalité n’est pas dénué d’une certaine nostalgie (il parlera notamment aux quarantenaires avec ses nombreuses références télévisuelles), le monde qu’il dépeint est aussi plein de cynisme et l’envers du décor n’est pas toujours glorieux, l’importance accordée au facteur humain finalement toute relative : « il avait l’air si gentil, et si candide, quand il souriait, que les Français en feraient assurément leur nouveau labrador », pense Sébastien lorsqu’il évoque l’animateur qu’il a choisi pour son nouveau concept d’émission.

Il est monté dans l’ascenseur de TF1, avec l’audimat désastreux de la veille affiché à côté des boutons, comme on monte à l’échafaud. »

L’émission qui sera le fondement de l’empire télévisuel de Sébastien Bitereau, c’est Triple 7, jouant là encore la carte nostalgie, dont l’objectif est de faire vibrer la fibre émotionnelle du téléspectateur. Le jeune producteur a ensuite l’idée (judicieusement soufflée par ses confrères des Pays-Bas) de cette « forme télévisuelle nouvelle pour un siècle nouveau », à savoir Big Brother, 26 caméras filmant un groupe de personnes 24 heures sur 24, rebaptisé Loft Story pour la France. Téléréalité est une immersion passionnante dans le monde de la télévision française, dans une décennie particulièrement chaotique, les années 90, où se redessinent contenus et modèles économiques, époque par ailleurs émaillée de scandales (à l’image de celui des animateurs-producteurs « voleurs de patates » comme l’ont si bien illustré les Guignols de l’Info).

Aurélien Bellanger propose une analyse fine des pouvoirs et contre-pouvoirs à l’œuvre dans les coulisses, les petits arrangements entre amis et cette différence fondamentale (l’exemple de Canal est édifiant), entre la « signature publicitaire » et le « produit ». Une grille de lecture du PAF que l’on aura tout intérêt à appliquer aux médias aujourd’hui. En trente ans, ce monde « entre has been et wannabe » est toujours là, mais aujourd’hui M6 n’est plus la petite chaîne qui monte, qui monte, la TNT a brisé les monopoles de TF1 et France Télévision, et « l’esprit Canal » s’est définitivement fait la paire avec la suppression des Guignols de l’Info. Le roman nous donne congé à l’orée du XXIe siècle, ce moment charnière où le « numérique est un océan qui vient de s’ouvrir » comme le fait remarquer Alain Minc à Sébastien le soir de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007. Les enjeux se sont déplacés ailleurs, sur internet, et pas toujours pour le meilleur. Mais ça, c’est une autre histoire.

Dominique Demangeot

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