ROMAN
Gallimard – Du monde entier
Parution le 13 février 2025
Copenhague. Printemps 1888. August Strindberg vient d’arriver au Danemark. La grande Exposition nordique se prépare et des temps nouveaux s’annoncent dans l’industrie comme dans les arts. L’auteur suédois Ulf Peter Hallberg redonne vie à cette époque de bouillonnement intellectuel et économique, dans un roman choral où la figure tutélaire des lettres nordiques côtoie d’autres personnalités de la fin du XIXe siècle.
Ulf Peter Hallberg poursuit la réflexion qui lui est chère autour de la question de l’œuvre d’art et dès les premières lignes, l’urgence est palpable, celle d’une fin de XIXe siècle en plein bouleversement. Copenhague, “capitale littéraire de toute la Scandinavie”, symbolise également “une période de renouveau et de productivité”. Ils sont tous là, le peintre Vilhelm Hammershøi, écrivains (August Strindberg, Herman Bang, Jens Peter Jacobsen, Victoria Benedictsson). Hallberg invente aussi des personnages qui apportent une profondeur supplémentaire au récit, à l’image d’Anne Aretino, jeune actrice qui finira broyée par le système comme Victoria Benedictsson, ou encore le banquier Berg, riche héritier qui rêve de faire partie de ce monde de l’art, estimant que “[l]a civilisation a instauré la vitesse en norme et il ne reste plus que le crash”.
Le crash, Strindberg n’est pas loin d’en faire les frais lui aussi, tiraillé entre génie et folie. Les frères Edvard et Georg Brandes, auteurs et critiques littéraires, “veulent faire bouger le Danemark” et créent pour cela un journal, le Politiken, appelé à être le chantre de la libre pensée. Strindberg aussi à des idéaux, malgré son esprit torturé et son couple qui part en miettes. Il veut créer une revue, Le Messager du Nord. Le dramaturge suédois veut également bâtir un théâtre expérimental et libre, à l’instar de la scène berlinoise. Strindberg est au centre de toutes les attentions et beaucoup pensent qu’il va “secouer la bourgeoisie et les conservateurs danois”. Dans ce roman impressionniste à la narration fragmentée, qui superpose les points de vue et les époques, Ulf Peter Hallberg parvient à restituer l’atmosphère fin-de-siècle qui règne à Copenhague et les névroses de l’époque. Il n’oublie pas la cause féministe, qui vient percuter la misogynie légendaire de Strindberg et s’incarne en particulier dans le destin tragique de Victoria Benedictsson, romancière débarquée de sa province qui fume dans la rue (rendez-vous compte) et se voit obligée, à l’instar des sœurs Brönte, de prendre un pseudonyme masculin pour publier ses écrits.
Marc Vincent