En pleine nuit, Daniel Quinn reçoit un mystérieux appel téléphonique. Pensant s’adresser à un détective privé, une femme lui annonce que son époux est en danger. Faux numéro. Ainsi commence le premier tome de la labyrinthique Trilogie new-yorkaise.
La fameuse série de polars métaphysiques de Paul Auster est portée pour la première fois à la scène par Igor Mendjisky. Nous ne nous risquerons pas à la résumer, composée de trois romans-miroirs d’où ressort cependant la problématique de l’identité fragmentée, comme réfléchie par les millions de vitres tapissant les buildings new-yorkais. Si Paul Auster refusait de qualifier ces trois romans de polars, il en utilisait néanmoins la forme pour mieux perdre (et balader) ses lecteurs. Trois livres pour « apprendre à vivre avec l’ambiguïté » (Une vie dans les mots, conversations de Paul Auster avec Inge Birgitte Siegumfeldt, Actes Sud, 2020). Dans un premier temps, il a donc fallu « éclaircir les récits », nous explique Igor, « et les rendre théâtraux ». Déterminer ensuite comment dessiner ce mystère et cette ambiguïté propres aux romans. « L’écriture donne des réponses, et le plateau en donne d’autres. » L’étrangeté peut aussi venir du fait que les huit comédiens/comédiennes sur scène vont incarner beaucoup plus de personnages, d’autant qu’au fil des livres, les identités (en crise), fluctuent.
Dans la Trilogie new-yorkaise il est question d’enquêtes, de filatures et de disparitions, les armes du polar, disions-nous, pour aborder des questions plus générales (d’aucuns diraient métaphysiques) autour de l’identité, du langage, sans oublier la filiation (et le père en particulier). « Le premier roman tourne autour de cela, un fils qui a peur que son père l’assassine », rappelle le metteur en scène. « Et le personnage qui enquête, qui est auteur, a perdu son fils ». La scénographie peut constituer aussi un réel défi devant tant de récits superposés. Elle va donc être mouvante, le metteur en scène l’envisageant comme un « pop up » qui fait surgir différents décors. « De roman en roman, l’espace change ». Igor Mendjisky a aussi souhaité inclure des animations en 2D de la ville, des sons et des musiques où la percussion va symboliser le rythme de la marche… L’étrangeté sera par ailleurs perçue à travers l’univers sonore. Le monde de David Lynch ne sera peut-être pas très loin… Dans la Trilogie new-yorkaise, on ne compte plus les filatures dans les rues, les déambulations (plus ou moins conscientes). « Et puis il y a un mouvement permanent ». Ici le metteur en scène de la compagnie Moya Krysa reste donc fidèle au thème de la marche, très présent dans les romans de Paul Auster.
« Je me suis permis de créer un lien entre les trois romans, pour que le narrateur du troisième récit débute son existence dès le premier roman ». Un fil rouge tenu par un animateur radio qui raconte les deux premières histoires, ainsi que la troisième (La chambre dérobée), qui est la sienne. « Et puis ces trois romans tournent énormément autour de la création », rappelle encore Igor Mendjisky, « sur ce que c’est qu’écrire, sur quoi nous devons écrire… Est-ce qu’écrire sur notre vie, c’est comme écrire un roman ? C’est une des questions centrales de cette trilogie ». Igor Mendjisky rappelle enfin que, malgré des thèmes sombres comme la disparition et la solitude, la Trilogie new-yorkaise peut aussi être drôle ! « Et à des moments ça pourrait ressembler à du Woody Allen, parce que ces personnages se lancent finalement dans des enquêtes qui n’ont pas de sens. J’essaie aussi de tirer ce fil-là, et faire que le spectateur puisse rire, être touché et réfléchir sur lui-même, que ça élève l’âme, comme quand on lit un roman de Paul Auster. »
– Propos recueillis par Dominique Demangeot –
Une Trilogie new-yorkaise, Vesoul, Théâtre Edwige Feuillère, 7 novembre à 20h
theatre-edwige-feuillere.fr