Junior Mthombeni et Michael De Cock adaptent la pièce du poète anglo-nigérian Inua Ellams. Le public est invité à visiter un salon de barbier où se retrouve la diaspora africaine, et où se croisent les langues et les générations.
Si la pièce originale a été inspirée par un barbier de Leeds, elle nous transportait aussi dans cinq villes africaines et autant de barbiers : Johannesburg, Harare, Kampala, Lagos, Accra, mais également Londres. Inua Ellams s’est rendu dans toutes ces villes et la pièce trouve son origine chez les personnes rencontrées à cette occasion. L’adaptation de Junior Mthombeni et Michael De Cock transpose ces Barber Shop Chronicles dans un contexte européen et francophone. Londres est remplacé par Bruxelles, Lagos par Kinshasa. On se rend aussi à Ouagadougou, Douala, Dakar et Abidjan. Mais au-delà de la langue, on trouve de nombreuses similitudes dans cette pièce créée au Théâtre de Liège en septembre : en Angleterre ou ailleurs, les barber shops demeurent des lieux de convivialité où l’on refait le monde, on dialogue, des lieux-refuges où l’on peut s’exprimer en toute sécurité, sans jugement. Après le casting entièrement féminin de Dear Winnie, pour évoquer Winnie Mandela, Junior Mthombeni a regroupé cinq comédiens mais a inclus aussi une comédienne dans cette dynamique, pour apporter un regard extérieur, un contrepoids dans les récits et les dialogues. “J’ai la curiosité de vouloir raconter principalement l’histoire d’hommes noirs”, explique le metteur en scène. “J’avais envie d’en savoir plus sur ces personnages, de plonger dans leurs psychologies, dans la psychologie de ce qu’on appelle « les hommes noirs ».” (Les citations sont issues d’un entretien mené dans le dossier de création du Théâtre de Liège).
L’objectif de cette adaptation francophone est aussi de s’approcher au plus près du rythme de la langue d’Inua Ellams (Junior Mthombeni parle d’ailleurs de “slam poetry” à son encontre), faisant aussi intervenir la musique en live. “Il y a quelque chose que j’aime beaucoup dans la pièce d’Inua, ce sont les transitions. Quand je la lis, j’ai vraiment retrouvé en filigrane, mais qui traverse toute la pièce, un certain rythme, une certaine mélodie – même si, oui, c’est une pièce où ils parlent beaucoup.”
Les barber shops africains remplissent en quelque sorte la même fonction sociale que les bistrots en France ou les pubs britanniques. Les hommes viennent pour se faire couper les cheveux, mais aussi pour échanger leurs points de vue, pour se confier. Junior Mthombeni rappelle également qu’à Bruxelles, les salons de barbiers sont des lieux où se croisent les origines et les cultures. Clients noirs, blancs, nord-africains s’y rencontrent. Des lieux tellement importants pour le vivre-ensemble qu’il fut même question à un moment de former les coiffeurs à identifier de potentiels problèmes psychologiques chez leurs clients, être davantage à leur écoute. “Je connais beaucoup de personnes noires qui ne considèrent pas le théâtre comme un lieu à eux, comme un barbier, comme un lieu sûr”, confie encore Junior Mthombeni. “C’est notre obligation. Nous devons faire en sorte que cela le devienne. C’est ce que j’essaie de faire, même si je sais combien cela est difficile.” Un souhait d’accueillir dans les théâtres la diversité du monde, qui fait écho à l’édito de la directrice du TnS, Caroline Guiela Nguyen, lorsqu’elle annonce qu’à partir de cette saison, les spectacles seront traduits en géorgien, albanais, dari, ukrainien, arabe, turc, roumain et farsi pour les allophones de Strasbourg !
– Dominique Demangeot –
Barber Shop Chronicles, Strasbourg, TnS, du 4 au 14 novembre
tns.fr

