ROMAN
Seuil
Parution le 18 août 2023
Au décès de son père, Amine retourne sur les lieux de son enfance à Trappes, lui qui a coupé les ponts avec ce dernier depuis 22 ans. Il redécouvre ce père qui fut tellement silencieux, lorsqu’il tombe par hasard sur une série de cassettes audio enregistrées pendant de longues années. Un dialogue d’outre-tombe qui va l’aider à identifier les raisons de « son absence systématique au monde ».
Dès son arrivée en France dans les années 1960, après avoir quitté le Maroc pour venir travailler dans les mines, le père d’Amine veut garder le contact avec son propre père en lui envoyant des cassettes qu’il enregistre. Il donne ainsi des nouvelles à sa famille restée au Maroc, raconte son arrivée en France et les conditions de travail et de vie difficiles. Amine n’a plus grand-chose à voir, culturellement et socialement, avec cet héritage et cette famille qu’il connait finalement si mal. Son enfance est pour lui comme ce papier peint de l’appartement familial et sa « senteur chargée, lourde, poisseuse ». Devenu pianiste soliste après avoir suivi des études prestigieuses au Berkeley College de New York, voyageant dans le monde entier, il comptait bien clore définitivement le dossier paternel, mais la découverte de cette série de cassettes va changer radicalement l’opinion qu’il se faisait de son père. C’est presque un inconnu dont il apprend l’existence, en suivant ses périples par cassettes interposées.
Amine va alors mener sa propre investigation en allant rencontrer les amis et collègues de son père, une (en)quête des origines qui balaie également une histoire du monde ouvrier en France, vue sous l’angle des travailleurs émigrés, des Charbonnages de France, « bagne des houillères », (quand les ouvriers se voyaient confisquer leurs papiers au départ de leurs pays pour ne plus pouvoir y retourner), aux usines Lip à Besançon, en passant par la cimenterie d’Aubervilliers. Rachid Benzine revient sur les Trente Glorieuses en France, pas si glorieuses que ça, rend un hommage tout en pudeur à ces travailleurs émigrés qui ont aidé à reconstruire la France après la Seconde guerre mondiale, tandis que son narrateur apprend à (re)connaître son père. Il accomplit en quelque sorte le même chemin que l’auteur américain Paul Auster lorsque ce dernier dressait en 1982 le portrait d’un père distant, et qu’il connaissait finalement très peu, dans Portrait d’un homme invisible.
– Dominique Demangeot –