Ornans – Courbet-Picasso, révolutions ! au Musée Courbet

Cet été à Ornans, Courbet croise le pinceau avec Picasso. À l’occasion de sa réouverture après plusieurs mois de travaux, le Musée Courbet nous donne l’occasion de mesurer l’importance que le peintre de Guernica accordait au maître franc-comtois, le tenant pour l’un des fondateurs de l’art moderne. Hommage en quelque sorte, d’un révolutionnaire à un autre ! Retrouvez ci-dessous nos entretiens avec Benjamin Foudral, nouveau directeur du Musée Courbet et du Pôle Courbet, et Thierry Savatier, commissaire de l’exposition.

Gustave Courbet, La Bohémienne et ses enfants
vers 1853-1854 – huile sur toile, 191,5 × 165,5 cm –
Hong Kong, Kamsen Lau
© Tous droits réservés

C’est lors de l’Exposition Universelle de 1900 que Picasso découvre le travail de Courbet, alors qu’il arrive à Paris, à l’occasion de l’exposition centennale de l’art français. À la fin des années 40, Picasso va livrer son interprétation toute personnelle des Demoiselles des bords de la Seine. L’exposition, grâce au soutien du Petit-Palais de Paris et du Kunstmuseum Basel, réunit les deux versions des Demoiselles des bords de la Seine, l’originale de Courbet et la réécriture qu’en a donnée Picasso. Le peintre va également acheter le tableau Tête de chamois (vers 1875). L’exposition Courbet – Picasso, révolutions ! met en lumière les liens étroits unissant les artistes, tous deux ayant notamment attaché une attention particulière au passé, d’où découleront leurs modernités respectives. L’engagement politique est un autre trait commun aux deux hommes. Avec un commissariat scientifique assuré par l’historien de l’art Thierry Savatier, l’exposition réunit plus d’une soixantaine d’œuvres de Courbet et Picasso sous des formes diverses (huile sur toile, arts graphiques, lithographies, gravures, ouvrages et moulages).

Entretien avec Benjamin Foudral, conservateur directeur du Musée Courbet et du Pôle Courbet

Avec cette exposition à retrouver au Musée Courbet, c’est donc la première fois que Picasso et Courbet se rencontrent et que certains de leurs tableaux entrent en dialogue…
Ce que l’on sait peu, d’où le sujet, c’est que Picasso a beaucoup regardé Courbet, ça va être une de ses références majeures. Picasso va chercher ses pairs en peinture et il va en trouver un, Courbet qui pour lui a marqué une révolution dans la peinture, une rupture et Picasso dit de Courbet : « Après lui rien ne sera plus comme avant. »

Qu’est-ce qui les rapproche en premier lieu ?
C’est à la fois la conscience très tôt dans leur carrière qu’ils sont à part, qu’ils vont marquer des révolutions pour leurs temps et pour les temps à venir. C’est aussi leur représentation du nu féminin par lesquels ils vont révolutionner tous les codes de la représentation. Ce sont aussi des thématiques plus insoupçonnées pour Picasso, par exemple la représentation de la misère qui tient une place importante dans sa production. C’est la période bleue et puis bien sûr c’est aussi leur engagement politique, commun, un engagement de gauche par lequel ils vont souvent être réduits, mais qu’ils vont très largement dépasser pour un engagement plus humaniste et pacifiste.

D’où viennent les pièces présentées ?
Les prêts viennent de partout, beaucoup de musées de France, les musées Picasso de Paris, de Barcelone et d’Antibes qui ont été des prêteurs très généreux et qui nous ont offert un soutien exceptionnel. Bien entendu aussi le musée d’Orsay qui est notre partenaire privilégié, mais aussi les œuvres qui viennent du musée Thyssen de Madrid ou de Suisse. Nos partenaires suisses ont été au rendez-vous de cette préparation de l’exposition puisque c’est grâce notamment au Kunstmuseum de Bâle que l’on peut présenter la version des Demoiselles des bords de la Seine de Picasso.

Parallèlement à l’exposition, des événements auront-ils lieu ?
Toute une programmation culturelle d’animations, de spectacles, de concerts, d’ateliers pédagogiques, de création, a été conçue sur mesure pour cette exposition, qui abordera les deux artistes.

Entretien avec Thierry Savatier, historien de l’art et commissaire de l’exposition

Quels points communs entre les deux artistes mettriez-vous en avant ?
Courbet et Picasso ont une foule de points communs, sans doute le premier remonte à l’enfance : l’un comme l’autre détestaient l’enseignement traditionnel et académique. Ils préféraient, s’agissant de peinture, aller copier les maîtres : l’un au musée du Prado et l’autre au musée du Louvre, plutôt que d’aller dans les ateliers où on apprenait la peinture académique. Et puis il y a des points communs dans les engagements politiques qu’ils ont tous les deux acquis dans les cafés d’avant-garde, chacun dans leur siècle : la brasserie Andler-Keller pour Courbet, et pour Picasso Els Quatre Gats à Barcelone. Tout ça a participé à leur formation politique qui était très proche des anarchistes, ça leur a donné aussi un goût commun pour la lutte contre la pauvreté à travers la représentation des pauvres, qu’on trouve chez Courbet pendant toute sa carrière, et chez Picasso surtout dans la période Bleue. Il y a comme point commun aussi cet aspect révolutionnaire de vouloir rompre avec le carcan de l’académie, et ça s’illustre en particulier par la représentation du corps féminin : chacun à sa manière a rompu avec le beau idéal académique, et a représenté le corps féminin véritablement dans la modernité.

Puisque l’on parle de nu, on doit citer L’Origine du monde.
Dans la dernière salle il y a un aspect qui n’avait pas été étudié auparavant : l’influence que L’Origine du monde de Courbet a exercé sur Picasso, qui a vu le tableau chez Jacques Lacamp entre 1954 et 1955 et qui, à partir de 1959, va dans ses œuvres, peintures, dessins, gravures, faire du sexe féminin l’un des axes centraux de ses œuvres. On trouve d’ailleurs un certain nombre de gravures où la pose du modèle rappelle singulièrement celle de L’Origine du monde.

La dernière salle de l’exposition précise d’ailleurs le regard que le peintre espagnol a porté sur le peintre franc-comtois…
Elle a été appelée « Picasso regarde courbet », effectivement consacrée au regard que Picasso a pu porter sur certaines œuvres de Gustave Courbet, qu’il considérait comme un peintre majeur. Et bien entendu la confrontation la plus spectaculaire de l’exposition est celle des Demoiselles du bord de la Seine dans la version de Gustave Courbet qui est conservée au Petit Palais à Paris, que nous avons ici en prêt, et sa réécriture par Picasso qui nous vient du Kunstmuseum de Bâle. C’est une réinterprétation complète. Picasso modifie un peu le sens que Courbet avait voulu donner à son œuvre, et le fait de réunir les deux et de pouvoir les regarder en même temps, c’est quelque chose de très enrichissant.

Propos recueillis par Caroline Vo Minh

Courbet/Picasso, révolutions !, Ornans, Musée Gustave Courbet,
du 1er juillet au 18 octobre

www.musee-courbet.fr

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