Dans le cadre de la nouvelle saison culturelle de la Ville de Baume-les-Dames, le 27 septembre 2020, Alex Jaffray, musicien et chroniqueur notamment dans l’émission Télématin, viendra présenter son spectacle Le Son d’Alex, un seul en scène où, accompagné de son fidèle sampleur, il voyage à travers l’histoire de la musique. Historien sans être barbant (en dépit de sa barbe), archéologue sonore dénichant des pépites, Alex Jaffray sait se montrer à la fois pédagogique et drôle, et il y a fort à parier que vous n’écouterez plus votre chanson préférée (et les autres) de la même façon après avoir vu (et entendu) son spectacle !
La musique tient une place centrale dans votre one man show. Fait-elle également partie de votre formation de base ?
Mon vrai métier c’est vraiment la musique, écrire pour le cinéma, la télévision. C’est vraiment mon activité première qui occupe toutes mes journées. J’ai monté une structure il y a 18 ans maintenant qui s’appelle Start-Rec. On fait beaucoup d’habillages TV, de musiques de films, de pubs, beaucoup de choses que vous avez entendues sans savoir que ça venait de chez nous ! Quand il faut aller vendre les génériques que j’ai pu faire pour Scènes de ménage, ou l’identité sonore pour TF1, ça développe le côté pédagogique et en même temps un peu ludique. Et tout cela mis bout à bout, ça m’a donné envie de parler de musique sur scène, devant un public.
Lorsqu’il s’agit de composer un jingle ou une musique de pub, c’est véritablement l’efficacité et la concision qui priment. Retrouve-t-on cela dans les chansons que l’on appelle communément des tubes ?
Ce qui est intéressant, c’est de se dire que quand une chanson vous plaît, il y a toujours un moment dans cette chanson qui vous plaît le plus, et ce qu’on essaie nous de fabriquer, c’est ce moment, justement, ce moment très court, et on ne garde que ça. Evidemment créer une identité sonore ça demande beaucoup de réflexion autour de la stratégie de la marque, alors que quand vous écrivez une chanson vous avez tendance à suivre un peu ce qui vous plaît.
Comment choisissez-vous les musiques dont vous parlez dans Les sons d’Alex ?
En fonction de votre génération, vous avez des chansons qui vous parlent directement. Par exemple, Hotel California des Eagles, ça représente mon adolescence, mes goûts. Il y a aussi des monuments, des choses incontournables, et puis il y a aussi des choses qui font rire, comme quand je parle de L’Eté indien. Quand vous jouez la chanson à l’envers, on obtient Destinée, dans Le Père-Noël est une ordure ! Ce sont des choses qui sont à la portée de tous, mais comme je le dis au début du spectacle, au bout d’une heure et demie, les chansons que vous écoutiez d’habitude, vous ne les écouterez plus de la même façon. C’est apporter un éclairage un peu différent sur une chanson. On dit souvent « un point de vue différent », et là ce serait un point d’écoute différent.
Vous dénichez souvent dans les chansons des détails que l’on va retrouver dans d’autres titres, aux styles, aux époques parfois totalement différents.
C’est toujours intéressant de remonter d’un ou deux crans dans la naissance d’une chanson ou d’une mélodie. D’abord ça apporte pas mal de curiosité. Pour revenir à Hotel California, si vous écoutez un titre de Jethro Tull qui a été écrit six ans avant, vous vous rendez compte que l’ADN d’Hotel California, l’empreinte mélodique vient de cette chanson. Et ça vous donne envie d’aller l’écouter. C’est un peu l’idée qu’on avait dans la chronique de Télématin, quand William Leymergie m’a donné cette chance, c’était d’aller un peu plus loin que la discothèque idéale.
On parle beaucoup de sampling dans le rap et le hip-hop en général, mais vous démontrez que ces emprunts de courtes séquences mélodiques, parfois seulement quelques notes, existent depuis bien plus longtemps dans l’histoire musicale.
Les petites pastilles, ce que j’appelle Les Sons d’Alex, sont des petits sketchs où parfois qu’en rajoute un peu, mais j’aime bien le principe de citation, plus que d’emprunt ou de vol. Bach a emprunté à Buxtehude, Beethoven a emprunté à Bach, Haydn a emprunté à Beethoven… A partir du moment où l’on cite, que ce soit de l’emprunt, du vol, de l’achat, c’est une reconnaissance absolue de la qualité de ce qui a été fait avant. Ce qui est incroyable en musique, c’est qu’on peut prendre deux mesures d’une chanson et recomposer d’autres chansons. Si vous prenez un genou de la Venus de Milo, vous allez pas refaire une statue ! On peut prendre deux secondes d’Aznavour et faire une rythmique d’Eminem, ce qui paraît sur le papier complètement délirant !
Le rock aussi a beaucoup emprunté dans les années 60 et 70…
Quand on regarde la carrière des Stones, c’est un groupe de blues qui est passé au rock. Le blues, en un siècle, c’est la seule forme musicale qui n’a pas évolué. Vous écoutez un blues chanté par Robert Johnson il y a cent ans, la structure harmonique n’a pas évolué. Même la musique classique a évolué. Le baroque a amené des choses très très différentes. Le blues c’est la première musique qui a permis de mélanger onomatopées John Lee Hooker) et riffs de guitare. Quand vous prenez Satisfaction des Stones, c’est un riff de blues. Pour moi un riff de guitare, c’est un peu comme une récompense, un sucre d’orge.
Votre petit sampleur est votre ami fidèle sur scène ! Il permet d’illustrer vos propos. On retrouve également beaucoup les technologies de sampling (échantillonnage en français) dans la composition aujourd’hui.
Sur scène il y a le sampleur et moi ! Avec le blues, on en est arrivé à une musique qui n’était plus écrite mais jouée, et ensuite le jazz, le rock… Un grand nombre de musiciens ne maîtrisent absolument pas le solfège alors qu’ils sont compositeurs, et il est vrai qu’on peut se libérer aujourd’hui de la partie instrument. Je trouve ça intéressant parce que ça permet d’accéder à la musique. Je trouve que l’apprentissage de la musique classique a fait beaucoup de mal à la musique ! Je dis cela dans le spectacle. Dans presque toutes les langues on dit « jouer de la musique », il y a un côté ludique. Et si vous rentrez par une contrainte trop forte, comme ça a été le cas pour moi avec l’apprentissage classique, c’est épouvantable… J’ai vu mes enfants dans une autre école de musique, jouer du blues au bout d’un an sans connaître réellement la valeur des accords, mais ils trouvaient ça super de pouvoir jouer de la musique. Quelqu’un qui compose un morceau sans savoir jouer une seule note de piano, je trouve ça génial. Pourquoi il aurait pas le droit d’écrire ? Comme je dis toujours, on peut écrire de belles histoires avec plein de fautes d’orthographe. Peu importe, si c’est une belle histoire !
Vous êtes un passeur, mais vous êtes aussi un peu comédien, pour venir comme ça sur scène et nous raconter les petites et les grandes histoires de la musique…
Au tout début de ma carrière, il y a trente ans maintenant, j’ai été prof. Je crois beaucoup à la transmission et à l’échange. Mon plus grand plaisir à la suite des chroniques de Télématin c’est de croiser des gens qui me disent qu’ils ont cherché tel ou tel disque. Un peu comme quand vous êtes avec un pote. Vous lui dites d’écouter un disque et il tombe raide amoureux. C’est une grande chance de pouvoir faire ça, d’avoir beaucoup de copains à qui parler !
Vous mettez en scène vous-même Le Son d’Alex ?
J’ai eu deux metteurs en scène, un pour mettre en place le spectacle, Jean-Christophe Dollé, pour toute la première partie, et quand j’ai redémarré au Lucernaire cette année, j’ai travaillé avec David Chal, qui est comédien et metteur en scène, qui fait beaucoup de seuls en scène et de stand-up. Je suis arrivé avec mon spectacle qui tenait avec des bouts de ficelles et des bouts de scotch et Jean-Christophe m’a aidé à mettre tout ça bout à bout ! J’ai joué le spectacle une petite année et puis on a retravaillé avec David pour vraiment ne garder que l’essentiel.
Le spectacle a bougé depuis l’avant-confinement ?
Oui ces trois mois ont permis de réécrire des choses. La première date de la tournée était à Cannes et c’était chouette. J’ai essayé des nouvelles choses. En fait j’ai tendance chaque soir à essayer au moins un ou deux nouveaux petits passages.
Propos recueillis par Dominique Demangeot
Le Son d’Alex, Baume-les-Dames, Centre d’Affaires et de Rencontres, dimanche 27 septembre à 17 h
Informations/réservations : culture@baumelesdames.org / 03 81 84 07 13