ROMAN
Alma
Parution le 3 octobre 2025
Après Kafka à Paris (Alma, 2015), Xavier Mauméjean prend désormais le train avec Anaïs Nin. À l’époque où nous rencontrons cette dernière, elle n’est pas encore la romancière que l’on connait mais l’épouse d’un banquier américain, Hugh Guiler, exilé en France. Elle se languit à Louveciennes et attend sa “permission du jeudi” pour enfin respirer, écrire, aimer.
“Vous sentez ? L’air, autour de nous, se diffracte. Vous répandez une telle chaleur, une telle sympathie”. Ce sont les mots d’Antonin Artaud. Un discours tout autre que celui de l’époux d’Anaïs qui attend cette dernière, “[a]ssis dans son fauteuil préféré, un plaid écossais posé sur les genoux”… Xavier Mauméjean pose une loupe sur ce couple “[f]idèle par arrangement”, une cage dorée pour Anaïs Nin qui profite de ses jeudis pour laisser derrière elle son statut d’épouse comme on se débarrasse d’un bagage trop encombrant. Anaïs Nin voyage léger pour s’éloigner de Louveciennes qui “ressemble à la petite ville de province où nait et meurt Madame Bovary”, écrira-t-elle dans le premier volume de son Journal en 1931.
On suit la jeune femme au fil des ellipses ménagées habilement par le romancier pour ne conserver que l’essence de ces jeudis. Anaïs Nin va retrouver Artaud l’illuminé, Henry Miller exilé et fauché, René Allendy, psychanalyste en rut mais aussi June Miller, la volcanique épouse d’Henry. Chaque rencontre est une variation sur le désir, l’émancipation, la quête de soi. Xavier Mauméjean nous emmène sur les traces de l’écrivaine en devenir dans le Paris des années 1920, cosmopolite et sensuel. Un périple tour à tour cocasse (le premier jeudi chez le psychanalyste flirterait presque avec le vaudeville) et dangereux (la capitale peut être une cour des miracles à fréquenter avec prudence).
Dans la dernière partie, Anaïs Nin emboîte le pas de June Miller dans le Paris nocturne avec ses bars interlopes, du Poisson d’Or à La Gousse (“tout le Paris lesbien”). Anaïs vacille entre gravité et frivolité. “Il fait beau, pourrait-on au moins se disputer dans le jardin ? » suggère-t-elle à son banquier de mari. Le roman explore aussi les tensions entre “pureté” et “impur”, mensonge et vérité. “Allons, que cachez-vous derrière ces apparents mystères ?”, lui demande son presque-amant le psychanalyste. Anaïs Nin se cherche, “ment souvent, pour pimenter sa vie ou simplement la supporter”, s’abandonnant à “la part mortelle de la nuit”. Xavier Mauméjean évoque brillamment cette période clé dans la vie d’Anaïs Nin qui s’éveille ici à la littérature.
Dominique Demangeot
